Humaniser le numérique

© Marianne Durand

Qu’ils ou elles soient jeunes des quartiers à Persan, mères de famille aux Louvrais, séniors isolés dans le Vexin, mineurs non accompagnés à Pontoise ou encore écoliers à Garges-lès-Gonesse, tous ces publics du Val-d’Oise bénéficient des conseils éclairés de Abdel et Yoann, formateurs au numérique, respectivement pour Adapte 95 et la Ligue 95.

Délaissant une minute leurs écrans et leurs plannings, ils se sont confiés sur leur mission professionnelle et au-delà.

Q : comment qualifieriez-vous votre métier ?

Y : je fais un travail social, je m’occupe de personnes qui ont des difficultés numériques dans la vie de tous les jours ou qui veulent en apprendre plus.

A : idem, mais avec un public senior uniquement. Le numérique est un prétexte pour créer du lien social. Le temps accordé aux échanges hors numérique est important. Par ex., la semaine dernière, on s’est mis à partager sur la succession, l’assurance-vie, à partir de l’utilité, sur les formulaires en ligne, de renseigner « ou », « et » à propos de son conjoint. C’est l’ambiance de nos ateliers qui fait que les gens se sentent à l’aise. L’instauration d’un climat de bienveillance est très importante.

Y : dans mes programmes de formation, même si les sessions ont une durée plus limitée, la dimension humaine apparaît petit à petit au fil des séances. Je propose toujours mon aide. Par ex, lorsque que quelqu’un me dit qu’il n’a plus accès à internet. Et c’est là que les participants commencent à raconter leur vie. Le numérique est une porte d’entrée énorme pour toute la vie du quotidien.

Q : à quel type de difficultés faites-vous face ?

Y : dépasser les blocages, le manque de confiance en soi. Faire comprendre les données de l’ordinateur – dossiers, fichiers…. La difficulté est accrue avec un public allophone.

A : faire tomber les peurs. Les participants seniors ont l’impression que l’ordinateur, c’est un danger, que dès qu’ils vont appuyer sur une touche, ça va exploser.

Q : vous voulez dire qu’il n’y a pas une, mais des fractures numériques ?

A : oui, on n’a pas les mêmes publics, ils n’ont pas les mêmes attentes. Dans mes ateliers, les participants se fixent un défi, celui de dompter la bête. Ils ont besoin de prouver à leur entourage qu’ils savent encore se débrouiller tout seuls.

Y : si je prends les mères de famille qui viennent à mes ateliers, elles ont besoin de dialoguer avec la Caf, d’inscrire leurs enfants à la cantine, de faire des achats sur internet, etc. En fonction des présents à chaque séance, il faut adapter en permanence ses objectifs.

Q : avez-vous des frustrations par rapport aux formations que vous délivrez ?

A : on a toujours des frustrations, rapportées au savoir-faire numérique qu’on doit inculquer. Mais, ce qui compte, c’est que les participants aient passé un bon moment et qu’ils aient envie de revenir.

Y : je n’ai jamais le temps de faire tout ce que je voudrais faire. Ma frustration rejoint la leur, quand ils repartent en me disant : « est-ce que vous allez revenir, est-ce qu’on va pouvoir continuer ? ». Ma volonté serait de pouvoir travailler avec chaque groupe une année entière. Mais il y a des contraintes financières. On travaille pour des structures, collectivités, associations, qui ont un cadre budgétaire limité.

A : pour notre intervention auprès des seniors dans le Vexin, on a dû s’adapter à la diminution de la subvention par rapport au démarrage en 2019. Il a fallu redéployer nos ateliers différemment alors que la demande augmente.

Q : quels sont vos sujets de satisfaction ?

Y : par ce qu’ils expriment, quand ils me disent spontanément « merci ». Et aussi par ce que je vois de leur évolution au fil des séances, d’une certaine aisance acquise, d’une facilité à utiliser ne serait-ce que le clavier.

A : quand je vois qu’ils sortent en meilleur état que celui dans lequel ils sont entrés, quand je vois les barrières psychologiques tomber. Pour la première fois, il ou elle a réussi à accomplir quelque chose, informatiquement parlant. On arrive à joindre l’utile à l’agréable.

Q : finalement, c’est autant une passion qu’un métier ?

A : ce que je fais ici, je pourrais le faire ailleurs gratuitement. Car, je ne vois pas ça comme un travail, mais presque comme un hobbie de rendre service aux autres à travers le numérique.

Y : de base, je suis animé du désir de me sentir utile. Ça me plait de le faire à travers le numérique.

Une façon pour Abdel et Yoann de montrer qu’au-delà des machines, l’humain reste primordial.

 


 

Formation pour les seniors dans le Vexin, organisée par Adapte 95 : six à sept cycles par an, réalisés avec une autre association, Destination multimedia. Objectif : lutter contre la fracture numérique et contre l’isolement. Ateliers d’une heure 30 pour huit participants maximum chacun.

Formation numérique tous publics, organisée par la Ligue 95, voir le catalogue des multiples modules proposés dans tout le Val-d’Oise ici.

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